Saturn

La Saturn ou Sega Saturn (セガサターン, Sega Satān) est une console de jeux vidéo de cinquième génération commercialisée par Sega. Quatrième console de salon conçue par l’entreprise japonaise, succédant à la Mega Drive, elle sort le 22 novembre 1994 au Japon, le 11 mai 1995 en Amérique du Nord et le 8 juillet 1995 en Europe. La Saturn est dotée d’une architecture intégrant huit processeurs, dont deux microprocesseurs, deux processeurs graphiques et deux dédiés à l’audio. Ses jeux sont édités au format CD-ROM et sa ludothèque se compose de nombreux jeux issus de l’arcade, ainsi que de titres originaux.

La conception de la Saturn débute en 1992, autour du nouveau processeur SH-2 conçu en collaboration entre Sega et Hitachi, dans le rôle de processeur central unique. Au fil de sa conception, celui-ci est doublé par un second SH-2, à l’instar du rajout du second processeur graphique personnalisé début 1994, afin de permettre à la console de rivaliser techniquement avec la PlayStation de Sony. La Saturn est initialement un succès au Japon, mais pas aux États-Unis où elle est commercialisée en mai 1995, soit quatre mois avant la date de sortie initialement prévue. Après les débuts de la Nintendo 64 fin 1996, la Saturn perd rapidement des parts de marché aux États-Unis et en Europe, où sa commercialisation est arrêtée en 1998. Au Japon, la console est exploitée jusqu’en 2000. Écoulée à 9,26 millions d’unités dans le monde, elle est considérée comme un échec commercial.

La Saturn bénéficie de plusieurs jeux emblématiques, tels que Nights into Dreams, Sega Rally Championship, Daytona USA ou encore les séries Panzer Dragoon, Virtua Fighter et Virtua Cop. Pour autant, elle reçoit un accueil partagé des observateurs et des joueurs. Son architecture complexe rendant sa programmation difficile, le soutien limité des développeurs tiers de jeux vidéo et l’incapacité des équipes de développement de Sega à sortir un jeu de la série Sonic the Hedgehog, connu sous le nom Sonic X-treme, sont considérés comme les principaux facteurs des mauvais résultats de la console. La direction de l’entreprise japonaise est également critiquée pour ses prises de décisions au cours du développement et de l’arrêt de la commercialisation de la console.

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Sommaire

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Historique

Contexte

Sortie en 1988, la Mega Drive, connue sous le nom de Genesis en Amérique du Nord, marque l’entrée de Sega dans l’ère de la quatrième génération de consoles de jeux vidéo. Au milieu de l’année 1990, le directeur général de Sega, Hayao Nakayama, nomme Tom Kalinske en tant que directeur général de la filiale Sega of America. Celui-ci élabore un plan en quatre points pour optimiser les ventes de la Mega Drive : baisser le prix de vente de la console, créer une équipe basée aux États-Unis afin de développer des jeux destinés au marché américain, poursuivre les campagnes publicitaires agressives et vendre le jeu Sonic the Hedgehog avec la Mega Drive. Le conseil d’administration de Sega of Japan désapprouve d’abord cette stratégie, mais Hayao Nakayama accepte de réaliser les quatre points de ce plan, déclarant à Kalinske : « je vous ai engagé afin de prendre des décisions pour l’Europe et les Amériques, alors allez-y et faites-le ». Lors de sa sortie dans le commerce, la presse spécialisée salue Sonic the Hedgehog comme étant l’un des meilleurs jeux jamais réalisés : les ventes de la console de Sega décollent, au point qu’une partie des consommateurs qui attendaient la sortie de la Super Nintendo préfèrent finalement acheter une Mega Drive. Cependant, la sortie du Mega-CD, appelé Sega CD en Amérique du Nord, un lecteur de CD-ROM périphérique à la console, s’avère commercialement décevante.

Sega connaît également le succès avec les jeux d’arcade. En 1992 et 1993, le Model 1, un système d’arcade produit par Sega, est la vitrine de deux jeux développés par Sega-AM2 : Virtua Racing et Virtua Fighter, le premier jeu de combat en trois dimensions, jouent un rôle crucial dans la popularisation des graphismes en 3D polygonale. Virtua Fighter recueille notamment des éloges pour son système simple de contrôle à trois boutons fondé sur les différences entre les personnages plutôt que sur la réalisation de combos difficiles comme ceux de ses concurrents en deux dimensions : ceux de Sega se manient et agissent différemment. Malgré ses visuels simples, avec des personnages composés de moins de 1 200 polygones, l’animation fluide de Virtua Fighter et sa représentation relativement réaliste des différents styles de combat donnent l’impression que les personnages du jeu sont vivants, ce qui est impossible à reproduire en utilisant des sprites. La Model 1 est un système d’arcade coûteux ; convertir ces jeux sur la Mega Drive exige plus que les possibilités de cette dernière. Plusieurs solutions permettent de porter des jeux d’arcade sur la Mega Drive, comme la puce Sega Virtua Processor, utilisée dans la cartouche de Virtua Racing, ou encore la 32X, une extension de la console.

Finalement, Sega of Japan s’affirme à partir de 1994 comme la filiale dominante de l’entreprise vidéoludique, d’autant que les dirigeants nippons désapprouvent les méthodes commerciales de Tom Kalinske, le directeur général de Sega of America. En effet, si elle connaît le succès grâce à la Mega Drive, Sega est désormais criblée de dettes, ce qui inquiète fortement les dirigeants japonais de Sega, plus conservateurs, qui ne comprennent pas la recherche continuelle du profit de la part des entreprises américaines.

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Émergence des consoles de cinquième génération

En 1993, Trip Hawkins, le fondateur de 3DO, commercialise la 3DO Interactive Multiplayer, la première console 32 bits de l’histoire du jeu vidéo. Dotée d’un lecteur de CD-ROM, le projet est soutenu par Matsushita et Goldstar, suivis de Samsung, AT&T et Toshiba, qui s’engagent à produire la console. Or, le prix élevé de la 3DO Interactive Multiplayer (700 dollars) et les relais médiatiques consacrés au développement des nouvelles consoles produites par la concurrence en font un échec commercial.

De son côté, dès 1988, Nintendo travaille sur la mise au point d’un lecteur CD-ROM à destination de la Super Nintendo, et en confie la conception à Sony. Le projet est nommé « Play Station ». Or, si Nintendo souhaite que la console ne lise que les CD-ROM dédiés à la Super Nintendo, ce n’est pas le cas de Sony qui projette de produire ses propres jeux ; ceux-ci seraient alors compatibles avec la console de Nintendo. Ainsi, en 1991, Sony se dit prête à accorder une licence de production de jeux Play Station à toutes les entreprises intéressées par le projet. Courroucée par cette annonce, Nintendo, qui souhaite garder l’exclusivité sur la production des jeux de sa console, annonce signer un partenariat avec Philips pour la conception du lecteur CD-ROM de sa console 16 bits.

Dans un contexte concurrentiel, un futur prétendant souhaite s’investir dans le marché du jeu vidéo et prend contact avec des acteurs importants du marché des consoles. C’est ainsi qu’au début des années 1990, des responsables de Sony approchent ceux de Sega dans l’idée d’associer leurs talents pour la création d’une nouvelle console en remplaçante de la Mega Drive : Sony doit s’occuper du hardware, autrement dit de la conception de la console, et Sega, des jeux. Cela doit permettre de limiter les risques et les coûts tout en permettant de dégager des bénéfices selon Tom Kalinske, qui croit alors en ce rapprochement. Finalement, le conseil d’administration de Sega rejette cette possible collaboration.

Sega travaille également de façon indépendante à la production d’une console 32-bits, dont le système technique est basé sur le System 32, un système pour borne d’arcade dont les performances graphiques impressionnent à l’époque. C’est à partir de cette technologie fondée sur les salles de jeux que Sega projette de concevoir sa nouvelle console de salon.

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Développement

« Système solaire » de Sega

Afin de concurrencer la Super Nintendo et la Jaguar produite par Atari, Sega réfléchit au début des années 1990 à trois projets de consoles censées incarner le futur de la console de salon. Si certaines sont des évolutions de la Mega Drive, d’autres sont des projets de consoles à part entière. Ces projets répondent chacun à un nom de code faisant référence à une planète du système solaire située derrière la Terre, par opposition aux consoles portables développées par Sega, dont les noms de code s’appuient sur les planètes placées entre le Soleil et la Terre (la Game Gear, sortie en 1990, est nommée en interne projet Mercury). De plus, ces noms de code assurent une certaine publicité en faveur de Sega.

Le premier projet est le projet Saturn, une console 32-bits utilisant un lecteur de CD-ROM identique au Mega-CD, commercialisé depuis 1991. Afin de combler l’écart de performance entre la Saturn et la Mega Drive, un projet Mars est mis en place. D’abord envisagée comme la première console 32-bits de Sega, la « Mars », renommée 32X, devient rapidement convertie en une extension de la Mega Drive afin d’améliorer ses performances. Celle-ci permet également de combler l’écart de technologie entre elle et la Saturn pour empêcher les consommateurs américains disposant d’une Mega Drive d’acheter une Jaguar. Le projet Mars dérive du projet Jupiter. D’abord confondue par la presse spécialisée avec le projet Mars, Jupiter est une machine dérivée de la Saturn lisant uniquement des cartouches, afin de concurrencer de front la console d’Atari. Cependant, le prix attractif de cette dernière et l’obligation pour Sega d’améliorer les capacités techniques de la Saturn pour mieux rivaliser avec la future PlayStation de Sony enterrent le projet, remplacé par le projet Mars.

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La Saturn, une console d’abord prévue pour les jeux en deux dimensions

Selon Hideki Okamura, chef de projet chez Sega, le développement de la Saturn a commencé deux ans avant sa présentation au Tokyo Toy Show en juin 1994, soit lors de l’année 1992. Il est supervisé par Hideki Sato, l’administrateur et directeur général adjoint de la recherche et développement de Sega, assisté d’une équipe de vingt-sept ingénieurs, surnommée l’Away Team. Saturn, nom de code initial du système lors de sa conception au Japon, se voit finalement choisi comme nom officiel du produit. Celui-ci fait référence à la planète Saturne, sixième du système solaire, dont les anneaux forment un disque autour de son équateur. Pour Sega, Saturne reste la planète du disque géant, une image mentale soutenant l’idée de sa Saturn utilisant le CD-ROM, ce nouveau support, au détriment des cartouches. Pour autant, la presse spécialisée évoque en 1993 le nom de Gigadrive, en référence à la Mega Drive. La Gigadrive, considérée comme l’ancêtre de la Saturn, s’inspire de l’architecture de la System 32 et du lecteur CD-ROM du Mega-CD, une extension de la Mega Drive. Quelques prototypes de la Gigadrive sont construits en interne par l’équipe de Hideki Sato en 1993 afin de tester si le projet de console, tournant avec un lecteur CD-ROM, est réalisable.

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La Saturn doit sa conception à deux systèmes d’arcades produits par Sega : le System 32, alors considéré comme le plus abouti des systèmes d’arcade de jeu vidéo en deux dimensions et la Model 1, développée pour les jeux en trois dimensions. Parmi les jeux sortis sur cette dernière, Virtua Fighter, édité en 1993, rencontre un succès mondial, à tel point que cet opus, dont un portage sur console de salon est attendu par le public, est choisi comme titre de lancement pour la Saturn. Cette dernière, d’abord pensée pour générer des graphismes en deux dimensions de qualité, quitte à délaisser la 3D, doit donc être capable de générer des graphismes en trois dimensions. Or, les cartes graphiques en trois dimensions sont onéreuses et Sega souhaite réduire le coût de production de sa console. Tom Kalinske contacte alors les dirigeants de Sony, qui travaillent sur le développement de la PlayStation, afin de concevoir un hardware conjoint à eux deux. Les négociations entre Tom Kalinske et Sony échouent, mais Ken Kutaragi, le concepteur en chef de la PlayStation, s’oriente vers une console capable de faire fonctionner des jeux en trois dimensions.

En 1993, Sega restructure ses studios internes de développement de jeux vidéo afin de préparer le lancement de la Saturn. Pour s’assurer que des jeux de grande qualité en 3D soient disponibles au début de la commercialisation et pour créer un environnement de travail plus productif, les développeurs du pôle arcade de l’entreprise sont sollicités afin d’imaginer des jeux pour la prochaine console. De nouvelles équipes de développement, comme Team Andromeda, à l’origine de Panzer Dragoon, sont formées lors de cette période.

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Concurrence avec Sony pour la qualité des graphismes en trois dimensions

Alors que la conception de la Saturn est largement entamée, les rapports dévoilés au début de l’année 1994 sur les capacités techniques de la PlayStation inquiètent fortement Hayao Nakayama ; il convoque tout le département recherche et développement de l’entreprise et exige une amélioration des performances de la future console sur le traitement des données en trois dimensions, ceux-ci apparaissant comme le point faible. À ce moment-là, le processeur principal de la Saturn est un NEC V60 cadencé à 16 MHz, déjà utilisé sur le System 32 et la Model 1 ; celui de la PlayStation est un MIPS R3000A cadencé à 32 MHz, considéré comme beaucoup plus performant : la console de Sony est capable d’afficher 1,5 million de polygones ombragés et 500 000 polygones texturés par seconde, soit deux fois plus que la Model 1.

Hayao Nakayama donne un an pour améliorer la Saturn à l’équipe de Hideki Sato. Cette dernière décide d’y ajouter un deuxième processeur d’affichage vidéo pour améliorer les performances en deux dimensions et les textures générées par la console. Cherchant une puce graphique alternative pour la console, Kalinske négocie un accord avec Silicon Graphics ; mais Sega of Japan la considère alors trop grande et posant quelques problèmes techniques et choisit de rejeter l’accord. Silicon Graphics vend alors sa puce à Nintendo, qui l’exploite pour sa Nintendo 64. Kalinske, Olaf Olafsson de Sony Electronic Publishing et Micky Schulhof de Sony America discutent un temps de la possibilité d’un développement d’une console Sega/Sony, mais Sega souhaite une console conçue à la fois pour la 2D et la 3D tandis que Sony souhaite se focaliser sur la technologie 3D ; cette différence de vues empêche la collaboration des deux entreprises.

Sega et Hitachi, une société japonaise spécialisée dans l’électronique, forment en outre une coentreprise afin de développer un nouveau processeur pour la Saturn, le SuperH RISC Engine, ou SH-2, créé en 1993. La console se voit finalement conçue autour d’une configuration à double processeur SH-2, contre l’avis de Kalinske préférant une configuration à processeur unique. Selon Kazuhiro Hamada, le chef du développement de la Saturn, « le SH-2 a été choisi pour des questions de coût et d’efficacité. La puce dispose d’un système de calcul similaire à un DSP, mais nous nous sommes rendu compte qu’un seul processeur n’était pas suffisant pour calculer un monde en 3D ».

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Le développement parallèle de la 32X

En janvier 1994, Sega entame le développement de la 32X, une extension de la Mega Drive qui doit servir d’entrée de gamme de l’offre 32 bits du constructeur japonais. La décision est prise par Hayao Nakayama puis soutenue par les employés de Sega of America. Selon Scot Bayless, un ancien producteur de la filiale américaine, Hayao Nakayama remarque la récente commercialisation de la Jaguar, console 64 bits produite par Atari, entraînant une baisse des ventes de Sega. En parallèle, il s’inquiète de la Saturn ne puisse pas être disponible avant un an. Par conséquent, le président de Sega ordonne à ses ingénieurs de faire en sorte que la 32X soit commercialisable pour la fin de l’année.

La 32X n’est pas compatible avec la Saturn. Richard Brudvik-Lindner le directeur de la communication de Sega souligne la possibilité avec cette extension de jouer aux jeux de la Mega Drive et que son système possède l’architecture de la Saturn. Cette non-compatibilité reste justifiée par la direction de Sega soulignant la commercialisation simultanée des deux unités et présentant la 32X comme une alternative pour les joueurs n’ayant pas les moyens de s’offrir la plus coûteuse Saturn. Selon Joe Miller, le directeur de la recherche et développement de Sega of America, la 32X doit aussi permettre aux sociétés de développeurs de jeux vidéo de se familiariser avec l’architecture fondée sur les deux processeurs Hitachi SH-2, également utilisés par la Saturn. Eu égard à l’architecture commune et au lancement quasi simultané des consoles, des tensions apparaissent entre les filiales japonaise et américaine de Sega lorsqu’il est décidé d’arrêter prématurément la commercialisation de la 32X afin de se concentrer sur la Saturn.

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La Saturn, une console très attendue en 1994

Pendant ce temps, les rumeurs sur la future console de Sega se répandent de plus en plus dans la presse. Ainsi, dans son numéro du mois de mars 1994, le magazine Computer Gaming World se fait l’écho d’une rumeur voulant que « la Saturn sortira au Japon avant la fin de l’année », pour un prix de 250 à 300 dollars. En effet, les ingénieurs de Sega ont désormais achevé la conception de la Saturn et en ont envoyé plusieurs prototypes, ainsi que les premiers kits de développements aux développeurs tiers, afin qu’ils puissent travailler sur les nouveaux jeux de la console. La Saturn est présentée au Toy Show de Tokyo en juin 1994 et suscite beaucoup d’attentes de la part des observateurs qui se montrent élogieux à l’égard de la 32X, qui présage des qualités techniques de la Saturn. En effet, à l’automne 1994, pas moins de neuf nouvelles consoles sont attendues, et la presse spécialisée estime que seule la Saturn est capable de rivaliser avec la PlayStation : Sega bénéficie d’une bonne réputation auprès du public et des développeurs, tandis que Sony, nouvelle venue dans l’industrie vidéoludique, ne peut pour l’instant s’appuyer que sur sa communication médiatique. De ce fait, le journaliste Gordon Craick, officiant pour le Frontier Console Magazine, estime que la Saturn pourrait dominer le marché des consoles de salon d’ici la fin de l’année 1996.

Sega prévoit de commercialiser la Saturn au Japon dès septembre 1994, puis en Europe et aux États-Unis en mars 1995, avec Virtua Fighter et Virtua Racing, considérés comme les meilleurs jeux d’arcade de l’époque, comme titres de lancement. Néanmoins, les modifications apportées durant l’année 1994 entraînent une hausse du prix de la console, estimée alors entre 400 et 500 dollars. De plus, les rumeurs affirment que Sega projette de concevoir une extension pour la Mega Drive afin qu’elle soit capable de lire les jeux 32-bits. C’est alors qu’en avril 1994 est dévoilé le projet Jupiter : à une période du développement de la Saturn, il est envisagé de commercialiser simultanément des jeux sur cartouche et sur CD-ROM, mais l’idée de l’utilisation de cartouches est écartée en raison de la qualité inférieure et du prix élevé des jeux utilisant ce support. L’abandon de cette idée trouve sa source dans celle du développement d’une seconde console parallèle à la Saturn, la Sega Jupiter, conçue pour être plus accessible financièrement que la Saturn et ne lisant que des jeux sur cartouche. Toutefois, certains titres auraient été édités sur les deux consoles afin de satisfaire pleinement le jeune public.

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Un lancement sur fond de guerre commerciale contre Sony

La Saturn tient tête à la PlayStation au Japon

La commercialisation de la Saturn au Japon débute le 22 novembre 1994 ; elle est vendue au prix de 44 800 yens (480 dollars), ce qui en fait la console la plus chère de l’histoire de Sega. Virtua Fighter, un jeu quasi indissociable des populaires bornes d’arcade, est presque systématiquement écoulé avec la nouvelle console, contribuant ainsi à son succès lors de sa mise en vente. Sega prévoit également d’accompagner la Saturn de deux autres titres de lancement, Clockwork Knight et Panzer Dragoon, mais ce dernier n’est pas prêt à temps. Wan Chai Connection est le seul jeu Sega disponible à la sortie de la Saturn, avec Virtua Fighter. Grâce à la popularité de ce dernier, la première livraison de 200 000 Saturn est entièrement vendue dès le premier jour.

Sega attend jusqu’au 3 décembre, date de sortie de la PlayStation, pour en livrer d’autres exemplaires : en effet, les détaillants achètent en moyenne une PlayStation pour deux Saturn, ceci faisant dire aux dirigeants de Sega que la Saturn rencontre un succès inédit. Pour autant, si 90 % des consoles de Sony disponibles sur le marché sont effectivement achetées par les consommateurs entre décembre et juin 1995, ce chiffre tombe à 65 % pour les consoles de Sega. Celles-ci souffrent du manque de jeux emblématiques pour le lancement. À la fin de l’année 1994, les chiffres internes de Sega mentionnent 500 000 copies de la Saturn vendues au Japon, contre 300 000 pour la console de Sony. Tom Kalinske pense ainsi atteindre le million d’exemplaires d’ici avril 1995 et le double à la fin de cette même année. Néanmoins, la PlayStation bénéficie d’un meilleur taux de vente et finit par supplanter la Saturn en 1995. Sony attire de nombreux développeurs tiers grâce à de faibles frais de licence à 10 dollars, d’excellents outils de développement et la mise en place d’un système de commande révolutionnaire de sept à dix jours. Cela permet aux éditeurs de faire face à la demande de façon beaucoup plus efficace par rapport au système de commande de cartouches, alors courant dans l’industrie vidéoludique japonaise, dont le délai va de dix à douze semaines.

En juin 1995, Sony annonce la commercialisation d’une nouvelle version de sa console au Japon, basée sur le modèle américain. Le prix est abaissé d’un quart. Nakayama riposte en baissant le prix de la Saturn de 20 %. En effet, la PlayStation, avec 1,2 million d’exemplaires vendus aux détaillants, est en passe de rattraper la Saturn, écoulée à 1,3 million d’unités. Le mois suivant, Sega dévoile le portage sur sa machine de Virtua Fighter 2, dont les qualités graphiques, largement supérieures au précédent opus comportant des bugs, sont acclamées par la presse spécialisée et le grand public. 1,7 million de copies sont écoulées dans le monde : Virtua Fighter 2 devient ainsi le jeu le plus vendu de la Saturn.

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Amérique

Aux États-Unis, l’attente du public pour la sortie des consoles de jeux vidéo de cinquième génération reste forte. Il est annoncé que celles-ci sont capables de surpasser les graphismes en trois dimensions des ordinateurs personnels et des bornes d’arcade. D’après un journaliste du magazine GamePro, « les rêves des années 80 deviendront réalité dans les années 90, car les limites technologiques qui ont freiné le matériel informatique seront dépassées au cours des prochaines années. Les systèmes 32 bits et 64 bits offrent des fonctionnalités telles que la 3D, la vidéo en mouvement intégral, 16 millions de couleurs, les coprocesseurs graphiques, la reconnaissance vocale ».

Le 9 mars 1995, Tom Kalinske, le directeur général de Sega of America, annonce lors d’une conférence de presse le lancement de la Saturn aux États-Unis le Samedi 2 septembre 1995, sans pour autant annoncer de prix de vente : les observateurs l’estiment entre 400 et 500 dollars. Quelques jours plus tard, Hayao Nakayama envoie une délégation au siège de Sega of America pour ordonner une commercialisation dans les plus brefs délais. En effet, la branche nippone de Sega souhaite reprendre le contrôle du marché américain après l’échec commercial de la 32X sortie en novembre 1994, d’autant plus que Nakayama craint que Sony utilise une campagne publicitaire agressive et coûteuse pour assurer une large couverture médiatique à la commercialisation de sa PlayStation. Faute de moyens financiers, Sega ne peut concurrencer Sony sur ce terrain et l’entreprise nippone doit riposter en lançant le plus rapidement possible la Saturn pour lui donner un avantage sur sa concurrente. Or, Tom Kalinske s’oppose à la décision de Hayao Nakayama, arguant que la Saturn serait trop chère et que peu de jeux seraient disponibles à sa sortie. Le conseil d’administration de Sega of Japan, qui impute l’échec de la 32X à Kalinske, rejette les arguments du président de la filiale américaine.

Ainsi, le 11 mai, lors de la première édition de l’Electronic Entertainment Expo, à Los Angeles, Tom Kalinske présente la Saturn au public et révèle que son prix de lancement est fixé à 399 dollars, ou 499 dollars avec Virtua Fighter. Il annonce également qu’en raison de « la forte demande des consommateurs », Sega a déjà livré 30 000 consoles aux magasins Toys “R” Us, Babbage’s, Electronics Boutique, et Software Etc. pour une mise en vente immédiate. Il ajoute enfin que vingt nouveaux jeux sont en cours de développement. L’annonce embarrasse les revendeurs n’ayant pas été mis au courant de la sortie surprise dont Best Buy et Walmart. En réaction, KB Toys retire les produits Sega de son catalogue. Sony Computer Entertainment America dévoile le même jour le prix de vente de sa PlayStation, par la voix de son président Steve Race, à 299 dollars, quittant alors la scène sous les applaudissements des observateurs ; Sony a fait appel à Michael Jackson pour soutenir le lancement de sa console. L’Electronic Entertainment Expo voit donc s’affronter seulement deux acteurs de l’industrie vidéoludique, puisque la 3DO Interactive Multiplayer s’apprête à se retirer du marché, tandis que la Jaguar d’Atari souffre du manque de jeux disponibles. Enfin, Nintendo annonce la sortie de sa nouvelle console pour avril 1996 au plus tôt.

Le lancement de la Saturn aux États-Unis est accompagné d’une campagne publicitaire baptisée Theatre on the Eye, dont le montant s’élève à 50 millions de dollars. Celle-ci comprend des couvertures dans des magazines comme Wired, consacré à la technologie, ou Playboy. Cette campagne est récompensée par un Silver Clio Award mais se voit boudée par les consommateurs. Eu égard à cette commercialisation précipitée, seuls six jeux, tous développés par Sega, sont disponibles ; ceux conçus par des développeurs tiers ne devant sortir que pour le 2 septembre.

Le relatif manque de popularité de Virtua Fighter, combiné à la publication de seulement deux nouveaux titres entre mai et septembre 1995, empêche la firme japonaise de capitaliser sur cette commercialisation anticipée : de nombreux exemplaires de la Saturn se retrouvent invendus dans les magasins, d’autant que les éditeurs tiers, pressés par l’arrivée soudaine de la console, éditent des titres souffrant de nombreux problèmes graphiques. Dans les deux jours suivants sa sortie américaine, le 9 septembre, les exemplaires de la PlayStation, soutenue par une vaste campagne publicitaire, s’écoulent plus que la Saturn en cinq mois de ventes depuis le 11 mai, avec la quasi-totalité de la première livraison de 100 000 copies de la console de Sony, prévendues à l’avance, le reste étant distribué à travers le pays. De plus, dix-sept jeux accompagnent la sortie de la PlayStation. Sega of America réplique vainement en commercialisant une édition de la Saturn comprenant Clockwork Knight, Sega Worldwide Soccer et un bon d’achat pour Virtua Fighter. L’échec du lancement de la Saturn s’explique donc par un prix de vente plus élevé que celui de sa concurrente, elle-même considérée comme un produit de meilleure qualité par les consommateurs. De plus, la sortie hâtive de la Saturn ne permet pas à Sega de promouvoir correctement sa console.

Le portage réussi de Ridge Racer, un jeu d’arcade développé par Namco, contribue au succès rapide de la PlayStation et suscite des comparaisons dans la presse avec Daytona USA, son rival sur Saturn, considéré comme moins bon. Namco, un concurrent de longue date de Sega dans ce secteur, dévoile également son nouveau système de borne d’arcade, le System 11, dont la technologie est fondée sur celle de la PlayStation. Même techniquement dépassé par la Model 2 de Sega, le coût moindre du System 11 convient mieux aux petites salles d’arcade. À la suite de l’embauche de développeurs de Sega en 1994, Namco produit un nouveau jeu de combat, Tekken, pour le System 11 et la PlayStation. Conçu par Seiichi Ishii, un ancien designer de Virtua Fighter, Tekken se veut être un titre très similaire au jeu de combat de Sega mais se démarque par des textures plus détaillées et deux fois plus d’images par seconde. Ses graphismes de haute qualité et le portage quasi parfait de ce jeu d’arcade sur console de salon lui valent de surpasser Virtua Fighter en popularité, devenant le premier titre de la PlayStation à dépasser le million d’exemplaires vendus.

Le 2 octobre 1995, Sega abaisse le prix de la Saturn à 299 dollars. De plus, des portages de qualité des jeux à succès issus de la Model 2, Sega Rally Championship, Virtua Cop et Virtua Fighter 2 (tournant en haute résolution et à une fréquence de 60 images par seconde), considérés comme meilleurs que leurs concurrents sur PlayStation, sont édités à la fin de l’année 1995. En outre, un exemplaire de Virtua Fighter Remix, qui corrige les défauts du premier opus de la série, est offert à chaque acquéreur d’une Saturn Malgré une hausse des ventes de la Saturn pendant les fêtes de fin d’année, Sony domine le marché vidéoludique américain, à la grande surprise des observateurs : à cette date, 300 000 exemplaires de la PlayStation sont écoulés, contre 120 000 Saturn. Ces mauvaises ventes entraînent une baisse de 35 % des bénéfices de Sega sur le deuxième semestre de l’année 1995.

L’année suivante, la ludothèque de la PlayStation est considérablement plus fournie comparativement à sa rivale, bien que Sega espère générer un intérêt accru pour sa console, avec des exclusivités à venir, comme Nights into Dreams. Dans sa première année de commercialisation, la PlayStation s’empare de plus de 20 % du marché vidéoludique américain. Lors du premier jour de la deuxième édition de l’Electronic Entertainment Expo en mai 1996, Sony annonce la baisse du prix de sa machine à 199 dollars ; le lendemain, Sega réplique en alignant le prix de la Saturn, pourtant plus chère à produire, à la PlayStation. La ristourne de Sony est en fait une réaction à la sortie de la deuxième version de la Saturn au Japon, vendue pour 199 dollars.

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Un échec commercial en Europe

En Europe, la Saturn est commercialisée le 8 juillet 1995, au prix de 399 livres sterling (3 299 francs). Dans de nombreux pays européens, la console, dont la sortie est accompagnée de la publication de jeux de qualité comme Daytona USA, Virtua Cop et Virtua Fighter, se retrouve rapidement en rupture de stock. Or, les détaillants et la presse européenne n’ont pas le temps de faire la promotion de la console et de ses jeux ; ceux-ci sont très peu nombreux et cette console est considérée comme trop chère par les consommateurs, qui préfèrent la Master System et la Mega Drive.

La Saturn se vend mal dans les mois suivant sa commercialisation : en novembre 1995, les ventes de la PlayStation, pourtant mise sur le marché le 29 septembre seulement, sont trois fois plus importantes que celles de la machine de Sega. En parallèle, Sony alloue 20 millions de dollars pour la campagne de vente de Noël, contre 4 millions pour Sega. À Noël 1995, la Mega Drive connaît même un succès commercial plus important que la Saturn, celle-ci coexistant avec la 32X, la Game Gear et la Sega Pico. En outre, Sega perd le soutien de nombreux développeurs tiers, tel Psygnosis alors racheté par Sony. De plus, la firme japonaise est également soutenue par Codemasters, Infogrames et Virgin Interactive.

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Divergences entre les branches américaine et japonaise de Sega

La Saturn, unique console commercialisée par Sega

Malgré les sorties de la Saturn et de la PlayStation, les ventes des consoles et jeux vidéo 16 bits continuent de représenter 64 % du marché en 1995. Sega sous-estime la popularité persistante de la Mega Drive et ne dispose pas de stocks suffisants pour satisfaire la demande des consommateurs pour ce produit. En octobre 1995, Hayao Nakayama annonce la fin de la commercialisation des consoles ayant précédé la Saturn. Ceci entraîne une vive protestation de la part de Kalinske et de Shinobu Toyoda, un proche de Nakayama assurant la liaison entre les filiales américaine et japonaise de Sega. La focalisation sur cette machine au détriment de sa devancière, fondée sur le relatif succès de ses ventes au Japon, reste considérée comme la principale cause de cette erreur stratégique. Le fait de privilégier la commercialisation de la Saturn entraîne des conséquences positives sur les ventes de cette console : au Japon, la console de Sega domine le marché jusqu’à la fin de l’année 1996.

Aux États-Unis, ce changement de stratégie déplaît fortement aux consommateurs ayant grandi avec la Mega Drive et ayant investi en achetant ses extensions, comme la 32X et le Mega-CD, plutôt qu’acquérir une Saturn semblant ne rien apporter de plus par rapport à la 32X. La firme japonaise détient 43 % de parts de marché américain des consoles 16-bits et vend plus de deux millions d’exemplaires de cette console en 1995, mais Tom Kalinske estime que « nous aurions pu vendre 300 000 Mega Drive de plus entre novembre et décembre » Ainsi, la réputation de Sega s’en trouve fortement ternie. Selon Tom Kalinske toujours, Sega aurait obtenu plus de bénéfices en prolongeant d’un an la commercialisation de la Mega Drive, dont les jeux sont réputés auprès du public. En Europe, cette stratégie est bien plus désastreuse : Sega domine le marché grâce à la Master System, puis la Mega Drive. L’arrêt de leur commercialisation, doublé du prix élevé de la Saturn, pousse les consommateurs à se tourner vers la PlayStation. Ainsi, entre 1995 et 1998, date de fin de commercialisation de la Saturn en Europe, seul 1 million d’exemplaires de la console de Sega sont écoulés. Pour les historiens du jeu vidéo, la stratégie de Hayao Nakayama met définitivement à mal la position de Sega sur le marché vidéoludique mondial, d’autant plus que les ventes de jeux et de consoles 16-bits auraient permis d’éponger les déficits commerciaux causés par la Saturn.

Hayao Nakayama

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La deuxième version de la Saturn

En raison des divergences de point de vue entre lui et Nakayama, Tom Kalinske ne s’intéresse plus vraiment à son travail de directeur général de la branche américaine de l’entreprise. Au printemps 1996, des rumeurs affirment que Tom Kalinske prévoit de quitter Sega. Pour autant, lors du premier trimestre de l’année 1996, il annonce l’arrivée d’un nouveau kit de développement à destination des développeurs de jeu vidéo mais également la commercialisation de nouveaux titres, dont Nights into Dreams : selon Kalinske, ce jeu « sera pour la Saturn ce que Sonic the Hedgehog a été pour la Mega Drive ». Sega dévoile également la possibilité de la Saturn d’être la première console de l’histoire à pouvoir se connecter à Internet, pour des parties de jeu multijoueurs en réseau.

En mars 1996, Sega commercialise au Japon une nouvelle version de la Saturn, dont les microprocesseurs sont intégrés dans une unique puce ASIC. Ce process permet de réduire les coûts de production de la console, désormais vendue au prix de 200 dollars. Nakayama espère réaliser un bénéfice net de 330 millions de dollars sur le marché japonais. En outre, un porte-parole de Sega of Japan donne des prévisions de vente de cinq millions d’unités pour cette machine d’ici la fin de l’année 1996. Ce chiffre rend les observateurs sceptiques eu égard à l’importante quantité de consoles invendues chez les détaillants et la pauvreté de la ludothèque proposée. En effet, Namco décide de ne plus éditer de jeux à destination de la Saturn, au profit de la PlayStation, tandis que Square, alors développeur exclusif à Nintendo, démarche Sony afin que les prochains opus de sa série Final Fantasy soient édités sur sa console.

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Sega face à Nintendo et Crash Bandicoot

Lors de la deuxième édition de l’Electronic Entertainment Expo du 16 au 18 mai 1996 à Los Angeles, Sega doit remonter la pente face à Sony. Ce dernier détient désormais 80 % de parts de marché dans le secteur vidéoludique des consoles de cinquième génération. À l’échelle de l’ensemble du marché américain du jeu vidéo, Sega conserve cependant 38 % de parts du marché, contre 30 % pour Nintendo et 24 % pour Sony. Malgré cela, un ralentissement de l’industrie du jeu vidéo dans son ensemble fait diminuer les revenus de Sega. Lors de ce salon en Californie, Sega présente une demi-douzaine de nouveaux jeux, comme Nights into Dreams, dont les qualités enthousiasment le public, et Cyber Troopers Virtual-On: Operation Moongate, qui bénéficie des animations en trois dimensions les plus fluides de l’époque. En complément, Sega dévoile le troisième opus de Virtua Fighter, sur le système d’arcade Model 3. Cette sortie alimente les rumeurs d’une publication prochaine de ce jeu sur Saturn.

De son côté, Nintendo fait la promotion de sa nouvelle console la Nintendo 64, première véritable console 64-bits du marché, et de ses premiers titres, avec entre autres, Super Mario 64, Star Wars: Shadows of the Empire, Turok: Dinosaur Hunter et Wave Race 64, dont les graphismes surclassent les jeux de la Saturn et de la PlayStation. Pour Peter Main, président de la filiale américaine de Nintendo, Sony reste le principal rival et « Sega n’est pas vraiment une menace ».

Enfin, Sony attaque directement Nintendo en annonçant la baisse du prix de sa console à 200 dollars, contre 299 pour la Nintendo 64. L’entreprise japonaise dévoile également un nouveau jeu de plates-formes, Crash Bandicoot, dont le héros éponyme, un marsupial orange, présente les mêmes caractéristiques que Sonic, la mascotte de Sega. Les graphismes de cette nouveauté égalent ceux des titres de la Nintendo 64. Crash Bandicoot connaît un immense succès commercial, puisque deux millions de copies sont vendues dans le monde en mai 1997, soit neuf mois après sa sortie. Face à une telle concurrence, lors du dernier jour de l’Electronic Entertainment Expo, Sega abaisse le prix de sa console à 300 dollars, une décision jugée « pathétique » par les représentants de Sony, puis à 200 dollars, soit sous le seuil de rentabilité. Néanmoins, Hayao Nakayama ne craint pas Nintendo, persuadé que Crash Bandicoot, qu’il décrit comme étant un « jeu de poulet », mettrait cette dernière en difficulté.

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Restructuration à la tête de la branche américaine de Sega

Le 30 mai 1996 à la demande de Hayao Nakayama, Sega of America rompt avec l’entreprise publicitaire Goodby, Berlin & Silverstein à l’origine de la campagne de publicité « Sega Scream ». Ce changement doit permettre à Sega d’afficher une image plus douce dans ses publicités : ainsi, le cri « Sega ! » est supprimé et des conférences de presse pour le secteur de l’éducation sont organisées, dans l’optique de construire une image plus conviviale auprès des familles. Cette nouvelle stratégie de communication déplaît fortement aux amateurs de Sega appréciant justement l’image rebelle de la firme japonaise.

Cette dernière intervention de Hayao Nakayama auprès de la filiale américaine vient à bout de Tom Kalinske, considéré par les Japonais comme le principal responsable de la débâcle de la Saturn aux États-Unis. Le 15 juillet, Tom Kalinske démissionne de son poste de directeur général de Sega of America. Le lendemain il est suivi par David Rosen le fondateur de l’entreprise, en signe de protestation face à la manière dont Kalinske a été traité par Nakayama ; David Rosen décide de quitter la présidence de la filiale américaine de Sega pour se concentrer exclusivement sur le marché japonais. Le 16 juillet toujours, l’entreprise annonce que Shoichiro Irimajiri, un ancien cadre de Honda, est nommé président de Sega of America, où il travaille déjà activement depuis 1993. Enfin, Bernie Stolar, un ancien dirigeant de Sony Computer Entertainment America, devient vice-président de Sega of America chargé du développement des produits et des relations avec l’extérieur. Le 30 septembre, Tom Kalinske quitte le conseil d’administration de Sega. Il déclare à propos de la Saturn dans une entrevue accordée au Wall Street Journal que « personne n’aurait pu réussir à commercialiser cette chose ».

Bernie Stolar est considéré comme un atout majeur par les responsables de Sega. Il a obtenu pour PlayStation une exclusivité d’une durée de six mois pour Mortal Kombat 3 en 1995 et aidé à tisser d’étroites relations avec Electronic Arts lors de son précédent poste pour Sony. Enfin, sous l’égide de Bernie Stolar, Sega of America projette de développer son activité dans le secteur des jeux pour PC. Ce dernier déclare à propos de son nouvel employeur : « j’ai choisi l’univers de Nakayama en raison de son amour pour les logiciels. Nous avons parlé de l’élaboration d’une nouvelle console, dans laquelle je serai très impliqué, j’en façonnerai l’orientation, embaucherai une nouvelle équipe de personnes et restructurerai Sega. C’est pour moi une grande opportunité ».

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Nouveaux revers malgré les tentatives de reconquête du marché

De nouveaux jeux édités au second semestre 1996

À l’issue de l’Electronic Entertainment Expo, les rumeurs affirment que Sega pourrait mettre fin à la commercialisation de la Saturn dès 1997, celle-ci s’étant écoulée à 500 000 exemplaires aux États-Unis, contre plus d’un million pour la PlayStation. Néanmoins, le deuxième semestre de l’année 1996 voit la publication de nombreux jeux sur le continent américain, comme DecAthlete, Enemy Zero, ou encore les jeux de combat Dark Savior et Fighting Vipers, et de nombreux jeux de rôle, dont The Story of Thor 2, Albert Odyssey: Legend of Eldean, Shining the Holy Ark et Shining Wisdom. En outre, le studio de développement Game Arts prépare la sortie de Grandia, alors très attendu par le public. En revanche, les jeux vidéo de sport, pourtant populaires à l’époque de la Mega Drive, manquent à l’appel puisque Sega focalise son attention sur le développement de Sonic X-treme, qui rencontre de nombreux problèmes.

Dans le même temps, Yū Suzuki, le patron du studio interne Sega-AM2, spécialisé dans le développement de jeux d’arcade, commence à travailler sur la conception de plusieurs jeux exclusifs à la Saturn, dont un jeu de rôle pour la série Virtua Fighter. D’abord conçu comme un prototype intitulé The Old Man and the Peach Tree et destiné à corriger les défauts des RPG japonais contemporains, comme l’intelligence artificielle médiocre des personnages non jouables, Virtua Fighter RPG est un jeu en onze parties, offrant 45 heures « de vengeance épique inspirée de la tradition du cinéma chinois », Suzuki voulant en faire la killer application de la Saturn. Le jeu, finalement baptisé Shenmue, est édité en 2000 sur la remplaçante de la Saturn, la Dreamcast.

Le 21 août 1996, Sega of America édite Nights into Dreams, accompagné d’un Pad 3D dédié. Sega assure la promotion du jeu à grands frais (8,5 millions de dollars, soit autant que pour le lancement de la Mega Drive) en reprenant exceptionnellement la campagne publicitaire Sega Scream. Pour Shoichiro Irimajiri, le président de la branche américaine de Sega, Nights into Dreams « est le jeu le plus important lancé à ce jour sur la Saturn, il démontre la puissance de notre architecture multiprocesseur et montre la nouvelle direction que prend le développement des jeux de Sega ». Or, pour les observateurs, Nights into Dreams illustre les avantages et les inconvénients de la Saturn : si ses graphismes sont jugés exceptionnels, l’environnement du jeu est en deux dimensions, car les développeurs, incapables d’exploiter toute la puissance de la console ne sont pas parvenus à le générer en trois dimensions.

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L’annulation de Sonic X-treme à la fin 1996

Comme la Sonic Team est occupée par le développement du jeu Nights into Dreams, Sega charge son studio américain Sega Technical Institute de développer ce qui aurait dû être le premier jeu en trois dimensions de sa populaire série Sonic the Hedgehog. Intitulé Sonic X-treme, ce jeu est porté sur Saturn après que plusieurs prototypes développés sur Mega Drive et sur 32X ont été rejetés. Il est doté d’un système de caméra à objectif fisheye permettant la rotation des niveaux en fonction des déplacements de Sonic, mais le projet a été compromis après que Yuji Naka, créateur de la série, a empêché les développeurs d’utiliser le moteur graphique qu’il a conçu pour Nights into Dreams. Les dirigeants de Sega of Japan qui ont visité les locaux de Sega Technical Institute en mars 1996 ne sont pas convaincus par les progrès de Sonic X-treme, alors que Hayao Nakayama ordonne qu’il soit retravaillé autour du moteur en 3D des arènes de boss. Ainsi, les développeurs travaillent entre quinze et vingt heures par jour afin de terminer le jeu dans les délais, celui-ci devant paraître en décembre 1996. Toutefois, le projet est annulé au début de l’année 1997 après qu’Ofer Alon a démissionné, Chris Coffin ait attrapé une grave pneumonie et Christian Senn soit tombé malade au point qu’une infirmière lui annonce qu’il ne lui reste plus que six mois à vivre. Après l’annulation de Sonic X-treme, Sega décide de se concentrer sur le portage sur Saturn de Sonic 3D: Flickies’ Island sorti sur Mega Drive, tandis que Sonic Team finalise Nights into Dreams pour la fin d’année 1996. La focalisation sur ce jeu explique notamment qu’aucun jeu original de la série Sonic n’est paru sur Saturn. Sonic Team a également commencé à travailler sur un projet de jeu Sonic en 3D pour la Saturn. Celui-ci a abouti à Sonic Adventure, destiné à l’origine à la Saturn, mais finalement édité sur Dreamcast, Sega préférant exploiter une console plus récente. Selon Yuji Naka, des restes du projet Sonic X-treme peuvent être aperçus dans la compilation de jeux Sonic Jam. L’équipe de développement Sega Technical Institute est quant à elle officiellement dissoute en 1996 en raison des divers changements de direction au sein de Sega of America.

Après l’annulation du projet, les fans et les journalistes ont spéculé quant à l’impact sur le marché qu’aurait eu Sonic X-treme. David Houghton, du site GamesRadar+, décrit la perspective d’un « bon jeu Sonic en 3D » sur Saturn, mais compare cette situation à celle « si les dinosaures n’avaient pas disparu ». Travis Fahs, du site IGN, estime que ce jeu représente « non seulement un tournant pour la mascotte de Sega et leur console 32 bits, mais aussi pour l’entreprise toute entière » et note qu’il s’agit d’une déception « pour les ambitions de Sega et les espoirs de leurs fans ». Dave Zdyrko, qui gérait un important site internet pour les fans de la Saturn pendant l’exploitation de cette console, émet un avis plus nuancé : « je ne sais pas si Sonic X-treme aurait pu sauver la Saturn, mais… Sonic a contribué au succès de la Mega Drive et ça n’avait absolument aucun sens qu’il n’y ait pas un super nouveau jeu Sonic prêt pour ou peu après le lancement de la Saturn ». Dans une rétrospective en 2013, le producteur exécutif Mike Wallis maintient que Sonic X-treme « aurait été assurément compétitif avec Super Mario 64 de Nintendo ». Des sites spécialisés comme GamesRadar+ et Destructoid estiment que ce jeu aurait été une source d’inspiration pour des jeux ultérieurs, comme Super Mario Galaxy, sorti en 2007. Des journalistes ont également relevé des similarités entre Sonic X-treme et Sonic Lost World, sorti en 2013, notamment en raison des graphismes qui rappellent ceux des opus sortis sur Mega Drive, de la présence d’une caméra à objectif fisheye et de l’attraction gravitationnelle utilisée pour le gameplay de ce jeu.

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Un marché du jeu vidéo pour trois consoles

À partir de septembre 1996, Stolar, faute de moyens financiers suffisants et conscient que la Saturn ne peut définitivement plus rivaliser avec la PlayStation, ni avec la Nintendo 64, décide de mettre fin à toute campagne publicitaire à la télévision. En effet, à fin de ce même mois, la Saturn s’est vendue à 900 000 exemplaires, contre deux millions pour la console de Sony et 350 000 pour la nouvelle venue de Nintendo, disponible depuis le 29 septembre. À l’échelle mondiale, huit millions d’exemplaires de la PlayStation sont vendus, contre trois millions pour la Saturn et 1,5 million pour la Nintendo 64. Ce cuisant échec alimente les rumeurs selon lesquelles Sega pourrait quitter l’industrie du jeu vidéo, ce que Marcian Hoff, vice-président de Sega of America chargé du marketing dément, en annonçant que la firme japonaise travaille sur la conception d’une nouvelle console, seul moyen pour elle d’éponger les pertes financières subies à cause de la Saturn. D’après le journaliste spécialisé Steven Kent, « Sega, qui avait prouvé que le marché était assez grand pour deux montre désormais qu’il ne l’est pas assez pour trois ».

Le 18 novembre, à l’occasion des fêtes de fin d’année, Sega of America lance une offre, pour l’achat de la Saturn, un exemplaire de Virtua Fighter 2, Virtua Cop et Daytona USA. Cette promotion permet à Sega d’augmenter ses ventes de 175 % : ainsi, sur cette période, 500 000 consoles sont écoulées, un chiffre bien en dessous des attentes de Sega of America, qui prévoyait d’en vendre le double, d’autant plus que cette dernière est désormais distancée par Nintendo sur le marché américain. Sur l’ensemble de l’année, 3,6 millions de Saturn sont vendus à travers le monde, contre 11 millions de PlayStation. En outre, les ventes de la Mega Drive sont en net repli. Sega affiche un bénéfice net de 46,4 millions de dollars, soit moitié moins qu’en 1995. Il s’agit cependant de la dernière année pour laquelle Sega réalise des bénéfices sur le marché vidéoludique.

Le 14 janvier 1997, Sega publie des chiffres selon lesquels un total de 7,16 millions d’exemplaires de la Saturn ont été vendus, dont 5 millions au Japon, où elle domine le marché, 1,7 million aux États-Unis et 900 000 en Europe. À partir du 15 février et jusqu’au 15 avril, Sega of America lance une nouvelle campagne promotionnelle, en offrant un jeu pour l’achat de deux autres, sur un éventail de douze titres majeurs de la Saturn, dont Nights into Dreams, Sega Rally Championship et son volant, l’Arcade Racer, Sega Worldwide Soccer et Virtual On. Cette promotion est un succès au point que Sega décide de la prolonger jusqu’à la fin mai. Néanmoins, les difficultés financières obligent Sega of America à une restructuration interne qui débouche sur le licenciement d’une centaine d’employés.

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